Correspondances : Cléopâtre et Emma Bovary
Contexte de la correspondance
Cette correspondance imaginaire met en dialogue deux figures féminines emblématiques, séparées par des siècles et des continents, mais unies par une même quête d’absolu. Emma Bovary, héroïne du roman "Madame Bovary" de Gustave Flaubert, et Cléopâtre VII, dernière reine d’Égypte, échangent ici leurs pensées sur l’amour, la passion et la désillusion, dans un dialogue qui transcende le temps et l’espace.
Emma Bovary, l’âme romantique enfermée dans la banalité
Emma Bovary est l’une des figures les plus marquantes de la littérature du XIXe siècle. Issue d’un milieu rural et mariée à Charles Bovary, un médecin de province, elle rêve d’une existence flamboyante, nourrie par ses lectures romanesques. Lassée de la monotonie de son quotidien et de l’amour terne de son époux, elle cherche ailleurs l’intensité qui lui manque, que ce soit dans l’adultère ou dans la consommation effrénée de biens matériels. Son insatisfaction chronique et son désir d’un amour absolu la conduiront inexorablement vers la tragédie.
Cléopâtre VII, la souveraine entre pouvoir et passion
Cléopâtre VII Philopator, dernière reine de la dynastie lagide, est l’une des figures les plus fascinantes de l’Antiquité. Femme de pouvoir et de culture, elle a su manier les intrigues politiques et les alliances stratégiques avec intelligence et charisme. Son histoire est indissociable de celle de Jules César et de Marc-Antoine, deux hommes qu’elle a aimés et avec qui elle a partagé une ambition démesurée. Pourtant, derrière la reine dont le nom est gravé dans l’Histoire, se cache aussi une femme, capable d’aimer, de souffrir et de se confronter aux mêmes dilemmes existentiels qu’Emma Bovary.
Lettre I
Yonville-l’Abbaye,
Une nuit où les étoiles me semblent bien lointaines,
À Sa Majesté Cléopâtre, Reine d’Égypte,
Majesté,
Vous qui fûtes maîtresse de rois et d'empires, dont le nom résonne dans les siècles comme un écho d'éclat et de puissance, que puis-je, pauvre femme provinciale, espérer de ma misérable existence ? C’est à vous que je m’adresse, à vous dont l’histoire a gardé la trace, pour vous confier mes tourments. Peut-être, dans votre sagesse de reine et d’amante, saurez-vous me répondre.
Chaque jour qui passe ici est un jour qui m’éteint un peu plus. Les murs de ma maison ne sont que des cercueils où s’ensevelissent mes rêves. Mon mari, Charles, est bon, certes, mais sa bonté est d'une médiocrité affligeante, une bonté sans lumière, sans éclat, qui s’étire comme une longue pluie monotone. Il m’aime, je le sais, mais d’un amour si fade qu’il m’étouffe plus sûrement qu’un lien de fer.
J’aspirais à tant d’autres choses, Majesté. Dans mon enfance, je lisais des romans où les femmes vivaient des passions enflammées, où l’amour transformait leur vie en un tourbillon de bonheur et de drames. Je croyais qu’il suffirait d’aimer pour que tout devienne plus grand, plus beau. Mais aujourd’hui, j’apprends que l’amour, du moins celui que je connais, est une chaîne invisible, faite de devoirs, de regards vides et de silences interminables.
Pourtant, quelque part en moi, il reste une flamme, le désir insatiable d’autre chose : une vie où l’on danse jusqu’à l’aube dans des salles de bal illuminées, où l’on voyage vers des horizons lointains, où l’on aime d’un amour si profond qu’il en devient insupportable. Mais suis-je folle de vouloir cela, Majesté ? Le bonheur existe-t-il vraiment, ou n’est-ce qu’un mirage pour les âmes rêveuses comme la mienne ?
Et vous, Reine, avez-vous connu ces heures sombres où même la couronne qui brille sur votre tête semble trop lourde à porter ? Avez-vous pleuré dans l’intimité de vos chambres, rêvant d’un amour qui ne soit ni calcul, ni stratégie, mais une communion parfaite des âmes ? Vous qui avez aimé des hommes puissants, ces hommes vous ont-ils comblée, ou n’étaient-ils qu’une autre forme de désillusion ?
Je vous envie, malgré tout. Vous avez eu le courage de vivre vos passions pleinement, même si elles vous ont coûté un empire. Moi, je n’ose qu’écrire, et encore, dans le secret de la nuit.
Si vous pouviez, Majesté, me dire que la vie n’est pas qu’une lente agonie, que quelque part, il existe une lumière, un éclat, peut-être alors trouverais-je la force de briser mes chaînes. Ou bien, si tout cela n’est qu’un songe, dites-le-moi aussi, pour que je cesse enfin de rêver.
Avec toute l’humilité de mon cœur,
Lettre II
Alexandrie,
Sous un ciel chargé de constellations éternelles,
À madame Bovary, Femme de France,,
Majesté, Femme de France,
Votre lettre, portée par un vent lointain, est parvenue jusqu’à moi, et j’ai lu vos mots comme on contemple le reflet d’une étoile dans l’eau d’un puits. Vous m’écrivez avec l’ardeur d’une âme tourmentée, et je sens, dans chaque ligne, la chaleur d’un feu qui refuse de s’éteindre.
Vous parlez de rêves inassouvis, de murs qui vous oppressent, de chaînes invisibles forgées par le quotidien. Sachez, chère Emma, que même dans un palais doré, les murs peuvent devenir un tombeau, et la couronne, un fardeau. J’ai régné sur l’Égypte, et pourtant, combien de fois me suis-je sentie captive de mon propre pouvoir, prisonnière des attentes d’un peuple, des ambitions d’hommes qui voyaient en moi une conquête plus qu’une compagne ?
César, cet homme dont le génie égalait celui des dieux, m’a aimée, certes, mais d’un amour qui portait le sceau du calcul. Avec lui, je n’étais qu’une pièce sur l’échiquier du monde. Marc-Antoine, lui, m’a offert une passion plus sauvage, plus ardente, mais même cette flamme s’est éteinte sous le souffle glacé des réalités politiques. Je vous le dis, Emma : aucun homme, aucun empire, aucune passion ne comble entièrement le vide qui naît de nos aspirations infinies.
Vous rêvez d’une vie pleine de danses, de voyages, d’amour fou. Mais le bonheur, croyez-moi, ne se trouve pas dans ces éclats fugaces. Il réside, peut-être, dans l’instant où l’on cesse de vouloir ce qui nous échappe. Moi, Cléopâtre, fille du Nil, je l’ai appris à mes dépens. J’ai tout eu : la beauté, le pouvoir, l’amour des hommes les plus puissants. Et pourtant, le bonheur m’a toujours glissé entre les doigts, comme l’eau du fleuve qui baigne mes terres.
Vous me demandez si vivre ses passions pleinement vaut le prix à payer. Je vous réponds : oui, mille fois oui. Car même si ces passions consument, elles donnent à l’existence une intensité que rien ne peut égaler. La vie, Emma, n’est pas faite pour être douce et tranquille ; elle est faite pour être vécue, avec ses douleurs et ses éclats. Ce sont les cendres de nos illusions brûlées qui nourrissent la grandeur de nos âmes.
Mais prenez garde, chère amie : ce feu que vous désirez tant peut aussi détruire. Les rêves, lorsqu’ils se heurtent à la réalité, ne laissent derrière eux que des ruines. Moi-même, j’ai vu mes empires s’effondrer, et ma vie s’achever dans le silence d’un mausolée. Mais si c’était à refaire, je recommencerais, car l’éclat d’un instant de passion vaut mieux que mille jours d’une existence terne.
Vous me semblez au bord d’un choix : rester dans votre cage dorée ou en briser les barreaux pour courir après vos rêves, quitte à tomber. Ce choix, personne ne peut le faire pour vous. Mais sachez que, quelle que soit votre décision, la vie, dans son infinie ironie, trouvera toujours un moyen de vous décevoir… et de vous émerveiller.
Avec toute la gravité d’une reine et la compassion d’une femme,
Lettre III
Yonville-l’Abbaye,
Une nuit où mon cœur palpite autant de fièvre que de peur,
À Sa Majesté Cléopâtre, Reine d’Égypte,
Majesté,
Depuis notre dernier échange, un souffle nouveau a traversé mon existence. Moi qui me croyais ensevelie sous l’ennui, j’ai goûté à cette fièvre que je croyais réservée aux héroïnes de mes lectures. Pour la première fois depuis tant d’années, je me sens vivante. Mais à quel prix ?
Un homme répondant au nom de Léon a posé sur moi un regard différent de celui de Charles, un regard brûlant, un regard qui me fit exister autrement que comme une épouse docile et invisible. Dans ses bras, j’ai ressenti cette exaltation que je pensais n’être que mirage. Ces instants volés ont donné à ma vie une ivresse troublante, une couleur nouvelle, comme un crépuscule chargé d’or et de promesses. Chaque rendez-vous clandestin est une échappée hors du temps, un instant où je redeviens celle que j’ai toujours rêvé d’être : ardente, désirée, libre. Et pourtant…
Et pourtant, Majesté, l’ombre du doute et du remords s’étire déjà sur mon bonheur naissant. Si ce frisson m’arrache à ma torpeur, ne m’entraîne-t-il pas aussi vers un abîme plus profond encore ? Chaque mensonge, chaque regard fuyant, chaque secret est une pierre que je scelle à mes propres chaînes. Cet homme, que je croyais être mon salut, pourrait-il devenir mon tourment ? Et cet amour que je poursuis, est-il autre chose qu’un rêve impossible ?
Vous, qui avez connu les étreintes de César et de Marc-Antoine, saviez-vous dès le premier baiser où ces amours vous mèneraient ? Le frisson de l’interdit vaut-il la douleur qu’il promet en retour ? Vous qui avez régné sur les cœurs et sur un empire, avez-vous regretté ces passions qui, comme le feu, éclairent autant qu’elles consument ?
Parfois, la nuit, je me prends à envier votre force, votre liberté. Mais vous avez régné, vous avez choisi votre destin. Moi, je ne fais que flotter entre un désir qui me consume et une peur qui me ronge. L’angoisse me tenaille autant que l’ivresse me grise. J’ai voulu fuir la monotonie et voici que je me retrouve suspendue au bord d’un gouffre dont j’ignore la profondeur. Suis-je déjà perdue, Majesté, ou ai-je seulement commencé à vivre ?
Je vous supplie de me répondre. Dites-moi, avec la sagesse que donne l’expérience, si l’amour vaut d’être poursuivi à en perdre la raison, ou s’il n’est qu’un mirage cruel qui se dissipe dès qu’on croit l’atteindre.
Votre humble confidente dans le tumulte de son âme,
Lettre IV
Alexandrie,
Sous le regard immuable du Sphinx et le frémissement du Nil,
À Madame Bovary,
Femme de France,
Vous me demandez, chère Emma, si l’amour vaut d’être poursuivi jusqu’à la folie, si le frisson du désir peut suffire à nourrir une existence tout entière. Votre cœur s’enflamme, vos sens s’éveillent, et dans cette ivresse nouvelle, vous croyez saisir enfin la liberté que l’on vous a toujours refusée. Mais cette liberté, Emma, n’est-elle pas une illusion plus cruelle encore que votre cage dorée ?
J’ai aimé César. Dans ses bras, j’ai cru un instant tenir entre mes doigts le destin du monde. Il m’aimait, ou du moins, il me désirait avec cette intensité que seuls les hommes de pouvoir savent offrir. Mais son amour était fait de calculs, de promesses mesurées, de desseins plus vastes que moi. J’étais une reine, et pourtant, je me suis laissée enivrer, j’ai voulu croire que nos âmes s’étaient unies au-delà des intrigues de la politique. Quelle folie !
Car voyez-vous, Emma, aucune femme, fût-elle souveraine d’un empire, ne possède réellement le pouvoir dans un monde où règnent les hommes. Nous ne sommes que des reflets de leurs ambitions, des flammes qu’ils attisent pour se réchauffer avant de les laisser s’éteindre. J’ai voulu régner par l’amour, user de la passion comme d’une arme, mais en fin de compte, c’est moi qui ai brûlé.
Vous vous livrez à la passion comme un naufragé se jette sur une épave, croyant y trouver un salut, ignorant qu’elle l’entraîne vers le fond. Prenez garde, chère amie, à ne pas confondre le feu qui éclaire et celui qui consume. L’amour, quand il devient fuite, peut être un poison plus mortel encore que l’ennui.
Vous croyez vivre enfin, et peut-être est-ce vrai. Mais demandez-vous si ce frisson vaut le prix du désespoir qu’il laisse en héritage. Moi, j’ai voulu tout risquer, et mon empire s’est effondré dans la poussière. Quel sera le vôtre ?
Réfléchissez, Emma, avant qu’il ne soit trop tard. Parfois, la plus grande victoire d’une femme est d’apprendre à ne pas se laisser dévorer par ses propres rêves.
Lettre V
Yonville-l’Abbaye,
Une nuit où le silence m’écrase autant que mes pensées,
À Sa Majesté Cléopâtre, Reine d’Égypte,
Majesté,
Vous m’aviez mise en garde contre l’illusion du contrôle, contre cette passion qui, loin de libérer, enferme dans un piège plus subtil encore que la monotonie. Ai-je voulu vous croire ? Ou ai-je préféré me bercer de l’idée que je pouvais dompter le feu sans m’y brûler ?
Aujourd’hui, je vois les cendres s’accumuler autour de moi. Ce n’est pas l’amour que j’ai trouvé, mais son reflet déformé, une pâle imitation qui se consume aussitôt qu’elle s’allume. Aucune étreinte volée au destin ne m’a pas comblée, chaque sourire échangé, chaque serment murmuré, tout cela n’était que l’écho de mes illusions, un théâtre d’ombres dont je suis à la fois l’actrice et la spectatrice impuissante.
Et pourtant, je continue. Comme une funambule ivre de vertige, avançant sur un fil qui menace de rompre sous mes pas. Les dettes s’amoncellent, tout comme les mensonges. Pour nourrir cette existence rêvée, j’ai commencé à dépenser plus que je ne possède, à emprunter ce que je ne pourrai jamais rendre. Chaque robe somptueuse, chaque bijou scintillant, chaque soirée volée à mon quotidien étouffant me rapproche du précipice. Mais comment renoncer ? Comment revenir à cette vie terne et étroite, où chaque journée ressemble à la précédente ?
Majesté, vous qui avez vu des empires s’effondrer, que reste-t-il lorsqu’on a tout misé et que l’on perd ? Quand l’or se dissipe en fumée et que les promesses d’un avenir radieux se délitent comme un rêve au matin ?
Je me sens prise au piège de mes propres désirs, enchaînée par cette quête insatiable de grandeur et de beauté. Mais si je dois tomber, alors que ce soit dans un éclat, et non dans la fadeur d’une résignation silencieuse.
Avec une ferveur que même la peur ne saurait éteindre
Lettre VI
Alexandrie,
Sous un ciel où les dieux détournent le regard,
À Madame Bovary, Femme de France,
Majesté,
Vous dansez au bord du gouffre, Emma, et je crains que le vent ne soit plus fort que votre volonté. Vous dites ne pas vouloir renoncer, préférer la chute au renoncement, et je reconnais dans vos mots l’écho de ma propre démesure. Moi aussi, j’ai cru que la grandeur pouvait justifier le sacrifice, que l’intensité d’une vie flamboyante valait toutes les prudences du monde. Aujourd’hui, je me tiens parmi les ruines de mon empire et je vous demande : êtes-vous prête à tout perdre pour un idéal ?
Marc-Antoine m’a aimée, du moins l’ai-je cru. Il m’a suivie, portée, enflammée, mais quand est venue l’heure du choix, il n’a su que vaciller. Il a douté, et ce doute fut le premier coup porté à notre gloire. L’amour, lorsqu’il se lie à la passion du pouvoir, devient un poison lent. Nous avons cru défier Rome, mais Rome nous a brisés. Moi qui avais cru pouvoir régner par le cœur autant que par la ruse, je n’ai récolté que la solitude et l’exil.
Emma, votre quête ressemble à la mienne : une soif insatiable d’absolu, un refus obstiné de la médiocrité. Mais à quel prix ? La passion dévorante ne laisse derrière elle que des cendres. Lorsque le rideau tombera, que restera-t-il de vous ?
Je ne cherche pas à éteindre le feu qui brûle en vous, mais à vous poser une seule question : votre royaume, aussi modeste soit-il, vaut-il que vous le réduisiez en poussière ?
Avec la gravité de celle qui fut reine et l’amertume de celle qui fut abandonnée,
Lettre VII
Publication le 07/04/2025
Lettre VIII
Publication le 14/04/2025
Lettre IX
Publication le 21/04/2025
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